domingo, 8 de noviembre de 2015

2000 - Entrevista



 
Caetano Veloso: "La musique dit les vérités de la société brésilienne"
Par propos recueillis par Michel Faure et, publié le 17/02/2000

Vous êtes ici non seulement une grande vedette de la chanson, mais aussi une personnalité importante du monde intellectuel. Que dites-vous donc aux Brésiliens qui les touche tant?
Il faudrait le leur demander. Je crois que, d'une façon générale, la musique populaire brésilienne, depuis les années 20 ou 30, est devenue un moyen d'expression qui inspire confiance. Elle est une force que tout le monde respecte, parce qu'elle dit les vérités de la société brésilienne. 

Mais pourquoi ici plus qu'ailleurs? Pourquoi la musique au Brésil a-t-elle tant d'importance? Tous les pays du monde ont leur musique; néanmoins, ici, elle semble être un élément essentiel de la culture nationale.
Il y a à cela une raison très modeste: la pauvreté du pays, la simplicité de la formation, de l'éducation. La chanson est une forme d'expression simple, accessible à tous. Il existe par ailleurs une profondeur de l'expression dans la musique brésilienne qui explique aussi son succès. Certains chanteurs et compositeurs sont de grands artistes. Les paroles de Chico Buarque, par exemple, sont parfaites, la façon dont il utilise les mots, dont il transmet une émotion, une idée... On peut parler de poésie. Dorival Caymi ou N?l Rosa, pour évoquer des anciens, ce sont des maîtres, de grands artistes. Et n'oublions pas les mélodistes, comme Ari Barroso et, plus que tous, Tom Jobim. Tous ont donné à la musique populaire brésilienne une force incomparable. 

La voix de Bahia
Caetano Veloso vous reçoit dans son paradis tropical, sa maison au bord de la mer, à Salvador da Bahia, et l'on se dit, devant la beauté du lieu, la douceur du paysage, la lumière du soir, que son exil à Londres, jadis, dut être douloureux. Bahianais dans les brumes, il fut effectivement malheureux de se voir banni par la junte militaire qui gouvernait alors son pays. Il découvre la musique avec la bossa-nova, puis devient, avec Gilberto Gil, l'une des grandes voix du tropicalisme. Aujourd'hui, il est l'un des grands maîtres de la musique populaire brésilienne (la MPB). Aimé, respecté, un peu star, drôle et très charmeur. 

La musique est-elle le reflet de l'Histoire? La bossa-nova, par exemple, apparaît vers la fin des années 50, les années de la présidence de Juscelino Kubitschek, pleines de vigueur démocratique et culturelle.
 
Je n'aime pas beaucoup l'idée d'établir une relation directe, automatique, entre les événements culturels et les événements politiques. Je veux bien admettre que le développement de l'histoire de la nation brésilienne a pu produire, à un moment donné, une chose comme la bossa-nova. Mais celle-ci a aussi été le résultat d'une tradition esthétique, d'une dialectique propre à la musique, une nécessité de créer de la beauté à ce moment-là de notre histoire. 

Comme s'il existait une coïncidence, alors, entre la société et sa musique?
Parfois, oui. Mais il peut aussi exister de violents contrastes. Le mouvement tropicaliste, dont j'ai fait partie dans les années 60, avait par exemple des caractéristiques libertaires à l'opposé exact de l'idéologie du régime militaire qui gouvernait alors le Brésil. La bossa-nova, elle, a effectivement coïncidé avec un gouvernement démocratique. 

D'où sa douceur, peut-être?
Oui, alors que le tropicalisme est plus violent, plus agressif. Nous n'étions pas en phase avec le moment politique, tandis que la bossa-nova vivait en proximité, en connivence, avec la démocratie. Mais il n'existait pas pour autant une identification profonde entre elle et la situation politique de l'époque. La bossa-nova, à mon avis, est bien plus importante pour l'histoire du Brésil que le gouvernement Kubitschek [rires].  

Quand, à votre avis, commence à exister une musique spécifiquement brésilienne?
On ne sait pas. On ne connaît pas les premières musiques comme l'on connaît les premières sculptures du Brésil, avec l'Aleijadinho, par exemple, ou les premières poésies, avec Gregorio de Matos. Ce que l'on appelle la MPB, la musique populaire brésilienne, se développe à partir du XIXe siècle. Et puis, avec les premiers disques, son originalité se confirme. Le samba, dans les années 30, est même l'objet d'une utilisation politique, sous le régime de Getulio Vargas, qui en fait l'expression officielle de la culture nationale. Mais, déjà avant, le samba était une musique chère au c?ur des Brésiliens. 

Autre musique chère aux Brésiliens: celle de Bahia. Influence-t-elle votre travail, vous qui vivez à Salvador?
Bien sûr. Non seulement la musique traditionnelle, mais aussi la musique commerciale, très liée au carnaval.
Elle m'intéresse beaucoup. La critique et les snobs disent qu'elle n'est pas chic. Mais moi, je l'aime beaucoup. Je ne veux pas être chic! 

Vous êtes considéré comme un chanteur plutôt chic, non?
Oui, mais je m'en fiche. 

Vous, le Bahianais, vous avez commencé à chanter à l'époque de la bossa-nova, une musique plutôt carioca...
Une musique carioca inventée par un bahianais, João Gilberto, né à Bahia, qui a grandi à Bahia, a commencé à travailler à Bahia, puis est parti à Rio, où il est resté quelques années. Après, il est allé dans le Minas Gerais, précisément à Diamantina. Et là-bas, tout seul, dans la maison de sa s?ur, au milieu des années 50, il a inventé le rythme, le traitement harmonique, l'esthétique de la bossa-nova. Tout! Il est alors retourné à Rio, où il a montré son travail, notamment à Antonio Carlos Jobim. Jobim a commencé à composer avec ce style qu'a inventé João Gilberto. Et ils ont fait un disque ensemble, qui a bouleversé la scène musicale au Brésil. Voilà la véritable histoire de la bossa-nova. 

Elle n'a pas été une histoire plus collective que cela? Il y avait tout de même, vers la même époque, toutes ces réunions de musiciens et de poètes, dans l'appartement des parents de Nara Leão, avenue Atlantica, à Copacabana...
Oui, c'est vrai, ces gens cherchaient, beaucoup de cariocas tentaient des choses nouvelles, comme Dick Farney, Lucio Alves, Johnny Alf. Antonio Carlos Jobim, qui n'était pas encore un compositeur très connu, avait déjà fait la connaissance de Vinicius de Moraes, un poète et un diplomate amateur de musique populaire. Ils avaient écrit ensemble Orfeu da Conceiçao, une pièce de théâtre qui eut un grand succès. Mais tous ces gens-là ne faisaient pas encore de la bossa-nova. 

Le premier disque de bossa-nova, c'est donc Chega de saudade, de João Gilberto et Antonio Carlos Jobim?
Oui, c'est le premier disque. 

Vous souvenez-vous du jour où vous l'avez écouté pour la première fois?
Ah oui! Ce fut l'un des moments les plus importants de ma vie! 

Etiez-vous déjà musicien?
Non, je peignais, je voulais faire des films, je jouais un peu de piano.
Mais, après Chega de saudade, j'ai arrêté de peindre et j'ai acheté une guitare. Ça a été une révélation, une illumination. 

Et vous vous êtes joint ensuite aux musiciens qui entouraient João Gilberto?
Pas tout de suite. Quand j'ai écouté Chega de saudade, j'avais 17 ans. Gilberto Gil, Edu Lobo, Milton Nascimento, on avait tous 17 ans. Chico Buarque en avait 15. Et João Gilberto, lui, avait 28 ans. Un vieux! Mais on vient de faire un disque ensemble! João voz e violão.  

Un disque que vous avez produit, n'est-ce pas?
Oui, je l'ai produit. Avec João, c'est facile. Je n'ai rien eu à faire. Il est génial, le meilleur de tous. Un peu difficile, parfois. Il vient en studio quand il veut. Mon seul rôle a été de le convaincre de faire ce disque. Depuis dix ans, il n'avait pas mis les pieds dans un studio. 

Il a un caractère assez orageux, paraît-il?
Oui, souvent [rires]. 

On m'a raconté un incident récent. Vous étiez tous les deux sur scène pour inaugurer une nouvelle salle de spectacle à São Paulo, et João Gilberto a arrêté de jouer en déclarant qu'il y avait un écho...
Oui, et les spectateurs criaient «Boooo»! João chantait et en même temps il me parlait, et il me disait les choses les plus terribles sur cette nouvelle salle, sur son acoustique, tout ça dans le micro, et tout en continuant à chanter. Incroyable! Il disait: «C'est comme ça que le football brésilien est devenu ce qu'il est», ou bien qu'il n'était pas comme tous ces politiciens qui racontent n'importe quoi, alors que le gouverneur de l'Etat venait de faire un grand discours juste avant le show pour dire que c'était la plus belle, la plus grande salle de São Paulo, qu'il était fier de l'inaugurer, bla-bla-bla... Le public faisait «Boooo», et lui, il lui répondait, «Boooo», et il faisait des grimaces, il tirait la langue, c'était terrible! 

Et vous, que faisiez-vous?
Eh bien moi... bon... [rires], j'étais là, à ses côtés... 

Solidaire?
Complètement solidaire [rires]. J'ai essayé d'expliquer un peu les choses, mais rien à faire, João continuait. Il a été magnifique! 

Quand vous avez commencé à chanter, les militaires ont pris le pouvoir. Cela a-t-il rendu votre travail plus difficile ou plus stimulant?
Les deux à la fois. Mais, souvent, on perdait courage. 

Et puis vous êtes parti en exil à Londres...
Ce fut le pire moment, horrible. C'était en 1969. Nous avons été arrêtés, Gilberto Gil et moi. On est resté deux mois en prison, puis, pendant quatre mois, nous sommes restés confinés à Salvador, avec interdiction de quitter la ville. On devait se présenter tous les jours à un colonel, on ne pouvait pas donner d'interviews, ni faire de concerts, de disques ou d'émissions de télévision.
Rien! Et, au bout de ces quatre mois, ils nous ont «invités» à quitter le pays. Ils avaient préparé nos passeports et nous ont mis dans un avion pour Lisbonne. De là, nous sommes allés à Paris, puis à Londres. 

Les militaires vous reprochaient un texte, une chanson en particulier?
Non, simplement la junte ne nous aimait pas. La gauche non plus, d'ailleurs. Nous étions trop anarchistes, ou trop pop, ou trop liés au rock.
La gauche, alors, aimait bien la musique de protestation, des chansons un peu ridicules, avec des textes engagés et une musique moderne, genre jazz-samba. 

Comment viviez-vous, à Londres?
J'ai vécu de mon travail de musicien. Mes disques continuaient à se vendre au Brésil, et l'on recevait l'argent qu'il était permis de sortir du pays. On a aussi enregistré des disques, là-bas. Gilberto Gil en a fait un, et moi, deux. Ils ne sont pas très connus. Mais maintenant que les musiciens américains s'intéressent au tropicalisme, ils commencent à être redécouverts. 

Combien de temps votre exil a-t-il duré?
Deux ans et demi. On demandait régulièrement si l'on pouvait rentrer, et la réponse était toujours non. Je suis retourné une première fois au Brésil en 1971, pour le 40e anniversaire de mariage de mes parents. Ma s?ur, Maria Betania, qui à l'époque était une chanteuse plus connue que moi, très respectée, avait demandé aux militaires la permission de mon retour, mais, quand je suis arrivé à Rio, ils m'ont retenu pendant six heures à l'aéroport, ils ne voulaient pas me laisser entrer. A la fin, ils m'ont autorisé à aller à Salvador, et deux militaires me surveillaient tout le temps, me suivaient partout, restaient même devant la porte de la maison de ma mère! Ce fut une expérience très amère. Après cela, j'ai eu peur de revenir, et, quand João Gilberto m'a invité pour chanter avec lui une chanson à la télévision, je lui ai répondu non, je ne peux pas. Il m'a dit si, viens, Dieu le veut! J'ai pris l'avion, et tout s'est bien passé, exactement comme João me l'avait dit. Il est comme ça, très mystique. 

Le mysticisme, c'est très bahianais, non?
Oui. 

Vous-même, êtes-vous mystique?
J'aime dire que je suis athée. Je n'aime pas cette renaissance de la religiosité, qui me semble être très nord-américaine. Mais le candomblé m'intéresse beaucoup. 

On peut se dire athée et aimer le candomblé?
Ma s?ur, Maria Betania, est très liée religieusement au candomblé, et Mãe Menininha do Gantois, une personne très importante du candomblé à Bahia quand elle était encore vivante, lui avait dit d'accomplir un certain nombre de rituels en ma compagnie. Ça ne pouvait marcher que si j'étais avec elle. Alors, j'ai fait tout ce qu'a fait ma s?ur. J'avais un peu peur et en même temps j'étais très admiratif, très impressionné. J'aime le mysticisme de Bahia. C'est une façon d'aimer les choses, d'aimer la vie. Le candomblé, c'est une religion de l'avenir. Il a quelque chose à donner à la civilisation brésilienne, c'est une nouvelle façon de regarder le polythéisme. 

Avec des dieux dont on se sent proche...
Absolument, ce sont des personnalités familières. Ils sont jaloux, ils sont sexy. 

Des dieux sexy?
Oui. C'est très brésilien! Mais bon, arrêtons de parler théologie, d'accord?  

Alors, parlons chansons. Pourriez-vous faire une chanson sur les 500 ans du Brésil? Et que diriez-vous, que célèbre-t-on, avec cet anniversaire? Une chanson?
Peut-être. Ce que l'on célèbre, c'est le Brésil, tout simplement. C'est un anniversaire, et l'on fête toujours son anniversaire, même quand la vie n'est pas parfaite. On célèbre son anniversaire parce que l'on est vivant! 










 

 



 


 
 
 
 


 
 
 

 



 
 
 
 








 


 




 
 
 








"Tem que mudar esse sistema de som para o bem de todos"
(João Gilberto, vaiado pelo público na inauguração do Credicard Hall, quarta-feira 29/9/1999, em São Paulo)






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